Le Patrimoine Malemortois par Jean LE PANSE – Préhistoire et époque Gallo-Romaine

Le texte ci-dessous est celui d’une causerie que j’ai faite à l’automne 2002, dans la salle Georges Fréchinos de la Mairie, à l’occasion du week-end du Patrimoine et à la demande de la municipalité de l’époque. Ce texte dormait paisiblement, depuis dans mon ordinateur. Si je J’en ressors aujourd’hui, c’est à la demande de Madame Dumas, présidente des Amis de Malemort, qui compte le proposer au nouveau responsable de la revue, Monsieur Baussian, qui a succédé dans cette fonction à notre regretté Gérard Leblanc.

Jean LE PANSE

Il était bien naturel que notre association réponde favorablement à la demande de la mairie et participe à sa manière la journée nationale du patrimoine, puisque la défense du patrimoine est, aux termes de notre de nos statuts, la première de nos raisons d’être et que c’est même à l’occasion d’une action pour la défense d’un élément du patrimoine, en l’occurrence les tours de Bréniges, qu’elle s’est constituée. Dans ces occasions, c’est toujours à votre serviteur qu’on demande de se dévouer puisque les circonstances ont fait que je suis devenu (sans aucune préméditation, croyez-le bien !) ou plutôt que je passe pour être devenu, l’historien de I’Association. C’est une réputation d’ailleurs surfaite, mais enfin ce n’est pas notre sujet.

Nous avions donc le choix entre deux exercices : soit une causerie sur le patrimoine Malemortois et son histoire (et c’est ce que nous avons choisi de faire), soit une visite guidée de la commune. Des visites guidées, j’en ai fait plusieurs, dans des circonstances diverses, je vous avoue que, dans cet exercice, j’ai beaucoup de mal à me renouveler et ceci pour une simple raison : c’est que Malemort est une des communes du Bas Limousin dont le passé est le plus ancien et le plus riche, mais dont le patrimoine est le plus pauvre : si l’on excepte l’église Saint Xantin, plus grand chose ne subsiste de la longue histoire de la commune de sorte qu’une visite guidée est très frustrante, puisqu’elle consiste à dire presque partout où l’on arrive :«il y a eu ici autrefois des choses, mais, comme vous pouvez le constater, il n’y a plus rien. » C’est pourquoi il m’a semblé que c’est sans doute par la parole, par le discours, que l’on peut le mieux faire revivre le riche passé de Malemort et son patrimoine, mais aussi expliquer la disparition quasi -totale de ce dernier.

Je n’ai pas fait de grands efforts d’originalité dans la présentation de mon sujet et j’adopterai très platement l’ordre chronologique. C’est banal, mais pratique et ce sera (je l’espère, du moins) à peu près clair. 

La préhistoire

Commençons donc par la Préhistoire puisque l’élément le plus ancien du patrimoine Malemortois est la Grotte de, Lacan. Je pense que vous le connaissez tous. A ceux toutefois qu’il ne l’auraient jamais visitée et qui souhaiteraient le faire, je conseillerais de s’intégrer à une des sorties pédestres animées par les amis de Malemort. Car alors vous parviendrez à la grotte en passant par la propriété Allard, ce qui est un parcours assez facile alors que si vous voulez l’atteindre en descendant depuis la rue des pins, le parcours est acrobatique et vous n’êtes pas assurés d’arriver au but. Mais de toute façon, quand vous y arriverez, vous risquez d’éprouver cette frustration dont je vous parlais tout à l’heure : vous verrez une grotte certes, mais avec des parois totalement vides et muettes. Inutile de chercher ici des fresques murales comme à Lascaux ou des gravures comme aux Eyzies : il n’y en a pas, ou du moins il n’y en a plus.

En 1994, avec Daniel Freygefond, alors président des amis de Malemort, je visitais la grotte sous la conduite d’un spécialiste de la Préhistoire, M.P.Y Demars, membre du CNRS. Il se trouve que Monsieur Demars avait été, bien des années auparavant, un de mes élèves à Cabanis, mais, pour le coup, c’est moi qui étais son élève et qui lui ai demandé de bien vouloir corriger ma copie, en l’occurrence l’article sur la Préhistoire Malemortoise que je préparais pour notre revue. Et, tout naturellement, j’ai posé à Monsieur Demars la question que tout le monde se pose : « puisque la grotte de Lacan a été occupée. (par intermittence, d’ailleurs, pas de façon permanente) à peu près à la même époque que celle des Eyzies ou de Lascaux, c’est-à-dire en gros, il y a 15 000 ans, comment se fait-il qu’à Lacan contrairement aux grottes du Périgord, il ne reste sur les parois aucune trace du passage de nos ancêtres magdaléniens ? » Labsence de peintures s’explique aisément : la grotte de Lacan, à la différence de celle de Lascaux, est ouverte à tous les vents et ruisselle d’humidité, et ce depuis des millénaires. Mais des gravures, il devrait en rester. Hélas, la grotte est creusée dans du grès, roche extrêmement friable (le grès n’est autre chose que du sable comprimé et ce n’est pas un hasard si, au pied de la falaise où est creusée la grotte, se trouve l’ancienne sablière Allard) et les probables gravures ou graffiti dessinés par nos ancêtres magdaléniens n’ont pas résisté aux intempéries.

On peut s’étonner aussi qu’on n’ait trouvé à Lacan presque aucun ossement. Je ne parle évidemment pas d’ossements humains, (car les hommes qui séjournaient n’en auraient pas fait un lieu de sépulture !), mais des objets sculptés dans des ossements d’animaux de cette époque qui correspond à la fin de la dernière glaciation : cornes de rhinocéros laineux ou défenses de mammouth. Nouvelle infortune : le sol de cette grotte est extrêmement acide ; son «PH », comme disent les savants, est très bas et a dégradé tous ces objets. Vers 1860, Ph. Lalande et E. Massénat y auraient, paraît-il, trouvé quelques molaires de rennes, d’aurochs et de bisons. J’ignore ce qu’ils en ont fait.

Voyez quelle malchance s’acharne sur Malemort: elle a sur son territoire un site préhistorique d’importance, connu des spécialistes du monde entier, mais fait d’une roche et d’un terreau qui ne permettraient pas aux objets de s’y conserver !

D’où vient donc sa célébrité? Elle vient des objets non pas en os, mais en pierre, qui ont été trouvés dans le sol par deux archéologues américains qui y ont pratiqué des fouilles méthodiques en 1930. Ces objets sont aujourd’hui au musée Labenche. Il s’agit d’abord des célèbres « burins de Lacan», (ainsi nommés parce que c’est là que l’on a trouve pour la première fois cet outillage caractéristique du paléolithique récent), et les non moins célèbres plaquettes gravées. Je vais essayer de vous montrer deux de ces plaquettes en vous signalant que vous distinguerez mieux les gravures ici que vous ne pourriez le faire si vous essayiez de les déchiffrer dans les vitrines du musée. A l’évidence ce ne sont que des fragments d’oeuvres qui devaient avoir une surface plus importante. Elles représentent des animaux : bisons et oiseaux. Il va de soi qu’il ne s’agissait pas d’ « oeuvres d’art » au sens où nous comprenons ce mot aujourd’hui. Les représentations figuratives avaient certainement un sens qui nous échappe, magique ou autre. 

L’époque Gallo-Romaine

Deuxième étape dans notre survol de l’histoire Malemortoise et dans l’inventaire de son patrimoine : l’époque gallo-romaine. Ici, nous faisons un bond dans le temps d’au moins 12 000 ou 13 000 ans. Malemort n’existait pas encore mais le territoire de la commune actuelle était traversé par la voie romaine Bordeaux- Lyon, lointaine ancêtre de notre RN. 89, qui franchissait la Corrèze à Brive, du côté de l’actuel pont du Buis (Briva : la ville pont). De cette voie romaine, il ne reste plus aucune trace aujourd’hui, mais il semble qu’en 1933, on pouvait encore en voir des morceaux. J’ai cité en 1998, dans la revue de notre association, un article publié dans le bulletin de la société archéologique du Périgord daté de 1936 par un certain Docteur Trassagnac. Je vous en lie un extrait : 
« On a retrouvé cette voie en 1933 à 1 km en amont du pont du Buis et à 7 m de la route nationale actuelle lors de la prise d’eau des sablières Allard, qui utilisent les eaux de la Corrèze pour laver les sables. Cette voie, ouverte par la tranchée, était constituée par une chaussée faite de chaux et de briques pilées sur une épaisseur de 20 à 25 cm et sur une largeur de 6 mètres environ, sans pavage (renseignements donnés par les ouvriers). De là la voie rejoignait les collines de la rive droite de la Corrèze et courait à flanc de coteau dans la direction de Malemort. Elle traversait la route actuelle de Sainte Féréole à peu de distance de la route nationale Bordeaux – Lyon et, à partir de là elle est encore parfaitement conservée. Elle constitue une belle voix de 6 m environ de largeur et, avant d’arriver à Malemort, elle traverse un petit ruisseau (il s’agit manifestement du ruisseau Des Saulières) qu’elle passe à gué. Jusqu’à ce ruisseau, le pavage est, dit-on, récent. Mais à partir du gué, il est antique. Dans le ruisseau lui-même il reste des traces du pavage à peu près détruit pour l’aménagement d’un lavoir. On peut y voir encore de gros blocs qui n’ont pu être enlevés à cause de leur poids et qui en faisaient partie. La voie elle-même, depuis ce gué, pendant la traversée de Malemort, jusqu’au sommet du coteau, à 2 km au-delà de Montemart, est pavée grossièrement de blocs non équarris de grosseur variable, paraissant pour la plupart avoir été extraits du lit de la Corrèze ou des cours d’eau voisins … » 
En effet, la voie romaine grimpait au flanc de la colline de Montemart puis, du sommet, continuait en direction de ce qui est aujourd’hui Ste Féréole. Nos randonneurs Malemortois modernes, quand ils passent entre Puychevreuil et Montemart sur le sentier pédestre ouvert par les Amis de Malemort, suivent le tracé de l’ancienne voie romaine qui est devenue ensuite la route royale Bordeaux – Lyon sous l’ancien régime. L’.actuelle route de Ste Férérole n’a été ouverte que sous la révolution et la RN 89 sous le second empire.

Qu’il ne reste rien aujourd’hui de cette voie romaine dont on pouvait encore voir des fragments semble-t-il en 1933, il ne faut pas s’en étonner puisque l’auteur des lignes ci-dessus nous dit qu’ils sont tels qu’il nous les décrit « d’après les renseignements des ouvriers », ce qui signifie évidemment qu’il n’a pu les voir lui-même parce qu’ils n’ont pas été conservés. De même le pavage antique, près du ruisseau des Saulières, a été détruit « pour l’aménagement d’un lavoir » et ainsi de suite. Bref, inutile de chercher aujourd’hui des traces de cette voie.

On recense 300 sites gallo-romains sur le territoire de Malemort : Dominique, la sablière Allard à Lacan, et Roumégoux. Ce dernier étant, et de loin, le plus important, je le garderai pour la fin. Au pied de la falaise où est creusée la croix de Lacan, l’ancienne sablière Allard a été dans l’antiquité, un site funéraire, un cimetière en quelque sorte, plus précisément un lieu de crémation ou d’inhumation. Il n’en reste strictement aucune trace aujourd’hui, mais, entre 1936 et 1938, un curé de Malemort, l’abbé Lejeune, pratiqua des fouilles en cet endroit et y découvrit 13 tombes qu’il lui fut possible de dater du troisième siècle de notre ère. La présence de tombes à cet endroit ne doit pas nous surprendre: nous venons de voir que la voie Bordeaux – Lyon passait tout près de là et nous savons que les anciens plaçaient souvent leurs sépultures au bord des routes, comme on peut le constater aux Alyscamps d’Arles ou encore sur la via Appia à la sortie de Rome. Ici, bien sûr, les tombes étaient beaucoup plus modestes : les morts étaient incinérés non loin de là (sans doute à l’endroit où l’on voit encore, dans les broussailles, les traces de bûcher), et leurs cendres, mises en terre parfois dans des cercueils (d’où les clous qu’on trouve dans certaines tombes), parfois sans cercueils. Des offrandes étaient ensevelies avec les cendres: c’étaient en général des petits vases qui, au moment des fouilles,ont évidemment été retrouvé en morceaux. Cependant l’un d’eux a pu être reconstitué il se trouve au musée Labenche. Il est orné d’une figure grotesque.

Au lieu dit « Dominique », il y a certainement eu une villa romaine, c’est à dire probablement une exploitation agricole avec « maison de maître » (domus : le maître ; domus dominica : maison de maître). Dans les années 30, J. F. Pérol et l’abbé Lejeune avait trouvé des quantités de tuiles romaines au lieu-dit « la Tuilière» (c’est le nom qui leur avait mis la puce à l’oreille), ainsi que, encastrés dans le mur d’une ferme, deux fragments de la villa antique réutilisés comme matériaux de construction : la tête d’une statue, et un morceau de plafond à caisson. Ces deux fragments se voient toujours, définitivement figés sur les murs de la maison. Selon les calculs de J. F. Pérol, la statue devait mesurer plus de 2 m de hauteur ! Cela signifie que, dans ce coin reculé de l’empire, pas spécialement riche, il y avait des gens suffisamment fortunés pour faire bâtir une villa dans certains cas « standing », comme nous dirions aujourd’hui, et aussi des artistes capables d’exécuter ces œuvres d’art, car les deux œuvres proviennent une carrière locale.

Et j’en viens à Roumegoux. La vallée de la Couze, entre la colline de Roumegoux et celle de Puymaret, fut certainement le site gallo-romain le plus important de l’actuelle commune de Malemort. J’ai pu m’en convaincre en me promenant le long du ruisseau de la Couze en compagnie de notre ami, notre savant ami, Monsieur Plas, membre des Amis de Malemort et de la société archéologique de Brive : il suffit de se baisser pour ramasser des fragments de tuiles romaines. Lors de la rectification de la R.N. 89, après le « parc commercial du Moulin » et juste avant le carrefour de Roumegoux, les bulldozers ont mis à jour ont mis à jour des quantités de morceaux de tuiles, des poteries et des tuyaux d’époque gallo-romaine que Monsieur Plas portait pieusement à la société archéologique. Mais surtout, c’est dans un champ proche de l’endroit où la Couze se jette dans la Corrèze que Léonard Sarret, à la fin du XIXe siècle, trouva sous le soc de sa charrue des poteries dont il ne put déterminer ni l’origine ni la date, mais qui se sont révélées être bel et bien d’époque gallo-romaine. C’est à la suite que cette trouvaille que le célèbre Elie Massénat, futur maire de Malemort, secondé par Philibert Lalande, pratiqua en ce lieu des fouilles qui lui permirent de dégager les belles amphores vinaires que l’on peut voir aujourd’hui au musée Labenche : elles sont probablement originaires de Campanie et peuvent être datées du second siècle avant notre ère. Vous voyez ici une photo de celle des deux amphores qui est exposée au musée Labenche ; cela révèle l’existence de relations commerciales entre l’Italie du Sud cette province de la Gaule dans I’Antiquité, ce qui confirme la présence d’une médaille romaine trouvée par Monsieur Plas, qui est aussi un numismate distingué, dans un chemin proche du village de Meyrat : médaille datée 103 avant notre ère, soit avant la conquête du pays par César.

Tous ces vestiges romains à proximité de Roumegoux suggèrent évidemment la présence d’un lieu habité. Les spécialistes sont quasi unanimes à penser qu’il y avait, à l’époque galloromaine, au moins une villa gallo-romaine au bord de la Couze : c’est le cas de Monsieur Lintz archéologue spécialiste de la région, de Monsieur Moser conservateur du musée Labenche, qui m’a dit qu’à son avis tout cet espace devrait faire l’objet de fouilles méthodiques. Ces présomptions sont étayées par le témoignage d’un membre de notre association, Monsieur Gaby Bennet, bien connu de nos randonneurs, qui a eu l’occasion de survoler le site dans un petit avion de l’aéro-club de Brive, et qui m’a assuré que, par temps sec, on peut effectivement voir du ciel le tracé des ruines. Elles se trouvent, m’a-t-il dit, à peu de distance en avant de la cimenterie actuelle. Tout cela conduit notre président, Monsieur Mas, à alerter les autorités départementales, puisqu’en effet, à cet endroit, la future déviation de l’agglomération de Brive, doit se terminer par un petit viaduc qui descendra des hauteurs qui dominent Cluzan pour atterrir à hauteur de la RN 89. La réponse reçue par Monsieur Plas indique que le dossier a été transmis à la D. D. E. qui, malheureusement n’est pas spécialement compétente en matière d’archéologie.
Entendons-nous bien: il n’est nullement question de contester la nécessité d’une déviation de l’agglomération de Brive ; pas davantage de retarder, si peu que ce soit, sa réalisation. Mais s’ il se révélait que des vestiges d’une villa romaine se trouvent effectivement à cet endroit, et s’il était possible de faire en sorte qu’un des piliers de béton du futur viaduc soit planté non pas au milieu des ruines, mais à côté, cela vaudrait mieux. En disant cela nous ne faisons rien d’autre que respecter notre vocation de défenseur du patrimoine.

La suite à partir du Moyen Âge sera publiée dans les prochaines revues. Depuis vous l’avez compris la contournante Nord de Malemort a été réalisée et des fouilles ont été menées zone du Moulin. (Serge BAUSSIAN)