Cabanes et murailles

Cabanes et murailles du causse Corrézien : un patrimoine menacé

chemin-causse corrézien
Chemin et murailles dans le causse corrézien

Dominique LESTANI

Parmi les chemins préférés des marcheurs des Amis de Malemort, ceux du Causse rallient bien des suffrages. Comment évolue ce paysage du sud de la Corrèze ? Dans quel état le laisserons-nous à nos enfants, à nos petits-enfants ?
Pour avoir mené, dans les années 1990, avec les élèves du Collège de Larche, une vaste enquête sur les cabanes à pierre sèche du Causse Corrézien, me voilà en mesure, vingt-cinq ans plus tard d’apporter une réponse étayée. 
Je me fonde sur l’observation de 153 cabanes. Cent dix répertoriées (mesurées, dessinées, photographiées et décrites avec précision par les élevés) à l’occasion d’une exposition. Et quarante trois issues des chantiers de restauration ou de construction menés sous la conduite de Leon Laval, notre bâtisseur. Je les ai toutes revisitées l’automne dernier. II y a là de quoi alimenter un bilan crédible sur 25 ans d’évolution.
Qu’est devenue la première cabane restaurée par toute l’équipe le 7 juillet 1994 entre Chartrier et le Sorpt ? Elle n’a bénéficié d’aucune attention particulière. Elle est a nouveau menacée, et les arbres l’étranglent.
Quant à la dernière cabane construite par notre équipe au camping de la Magaudie, en 2002, elle a été entièrement démolie par un groupe d’enfants en vacances. Voila qui augure mal de la suite …
Qui détruit les cabanes et les murailles ? L’homme. Parfois sans en avoir conscience. Tel promeneur « prélève » quelques pierres. Multipliées par le nombre de visiteurs, on en arrive a des quantités importantes. Les vols de lauses sont courants. Certaines murailles bordant les routes sont pillées. La nature fait son œuvre aussi.
Les arbres, beaucoup plus nombreux d’année en année et livrés a eux-mêmes bousculent les pierres. L’agriculture moderne et l’urbanisation ne sont pas en reste. Et quelles actions sont menées pour conserver le paysage traditionnel du Causse ? En Corrèze pour ainsi dire aucune.
De 1992 a 2002, nous avons mené ou observe 43 chantiers de construction (22) et de restauration (21). La quasi-totalité (39) a traverse sans encombre son premier quart de siècle. Seulement trois connaissent des désordres. Là, notre intervention a été bénéfique et laisse, vingt-cinq ans plus tard, un solde largement positif. Oui, on peut intervenir en faveur de la sauvegarde d’une partie au moins du paysage.
Mais penchons-nous maintenant sur le cas des 110 cabanes répertoriées en 1993. Le résultat est accablant. Le plus criant est d’abord le peu d’intérêt dont elles bénéficient. Une quarantaine sont envahies par la végétation. Alors qu’il y a 25 ans bon nombre étaient au bord d’un champ cultivé et servaient à entreposer des outils. Aujourd’hui seules deux se retrouvent au bord d’un champ labouré, et une demi-douzaine au bord d’une truffière. Mais elles sont livrées à l’abandon.
Combien sur les 110 portent des marques visibles d’entretien ? Deux. Pas plus. Toutes ces données donnent le ton.
Etat des 110 cabanes répertoriées en 1993 :
– 18 détruites ou effondrées
– 23 menacées
– 69 dans un état satisfaisant
En 25 ans, dix-huit cabanes ont été rayées de la carte. Elles se sont effondrées, ou ont été carrément rasées, ou écrasées lors d’un épierrage réalisé à la pelle mécanique. Vingt-trois sont menacées de disparition prochaine. De sorte que dans 25 ans, elles seront passées de vie à trépas.
Enfin, 69 sur 110 tiennent debout. Mais rien ne dit qu’elles iront très loin.
A partir de ces chiffres, on peut extrapoler. Nous avions 110 cabanes en 1995, nous n’en avons plus que 92 en 2019. A coup sur il n’en restera pas plus de 69 en 2044, dans 25 ans. A ce rythme, dans cent ans, nos descendants verront un Causse sans aucune cabane.
Discours pessimiste ? Ou réaliste ? Le paysage du Causse tel que l’homme l’a façonné pendant des siècles est en train de disparaître sous nos yeux. Adieu cabanes, murailles, chemins bordés de pierres, terrasses entretenues. Telle est la situation irréversible vers laquelle nous nous dirigeons, si rien n’est tente pour le sauvegarder.
Dominique LESTANI