Le Prieuré Saint-Xantin

Son histoire, ses saints patrons

Conférence de Marguerite Guély pour notre association

Evoquer la paroisse de Malemort et son église revient à se poser toute une série de questions, dont certaines risquent de rester irrésolues.
La paroisse : comment se fait-il que cet entrepôt, ou ce domaine gallo-romain, disparaisse de l’histoire au Ill ème siècle, au profit de l’atelier de potiers de Brive, qui va être évangélisé au Vème siècle par Saint Martin l’Espagnol ?
Pourquoi ne réapparait-il qu’au 9, ou 1 0 ème siècle, sous la forme d’un site castral à Montemart et d’une église, située de l’autre côté de la Corrèze ? Pourquoi cette église, ou cette paroisse, est-elle dite « détachée de Brive » ??
Les saints patrons : si Cessateur, évêque de Limoges assez obscur (732-742) dont le corps semble avoir été translaté à Malemort, au temps des invasions normandes, fait un patron local assez logique pour une église du diocèse de Limoges, que vient faire Saint Santin, ou Xantin, évêque de Meaux, puis de Verdun, contemporain de Saint Denis, dans ce bourg castral du Bas Limousin ?
Il ne semble pas qu’on y ait possédé de ses reliques et, cependant, c’est lui qui donne son nom à la paroisse.
L’église : Sa situation, sur la rive droite de la Corrèze, loin du bourg et du château, est une énigme. Son site, si près de la Corrèze, sujet aux inondations, en est une autre ? N’a-t-on pas dit qu’on avait détourné le cours de la Corrèze pour la bâtir ? Ou encore que l’église primitive était sur les premières pentes de la colline d’Arjassou, auprès d’une fontaine miraculeuse ?
La date de sa construction : on ne sait pas si l’église romane, dont le chœur date du milieu du XII ème siècle, la nef et le portail du début du Xlllème siècle, a succédé à une église primitive. On est également étonné d’apprendre que cette bâtisse s’édifie à l’époque la plus troublée des guerres d’Aquitaine et, en particulier, de la fameuse bataille de Malemort entre routiers et l’évêque de Limoges, assisté du vicomte de Comborn, épisode inséparable de la lutte d’Henri, le roi duc d’Aquitaine et ses fils rebelles.
Le Prieuré : Le prieuré, dépendant de la collégiale Saint Martin de Brive, perçoit la dîme et aussi d’assez fortes rentes. L’un des chanoines est prieur de Saint Santin.
Comment s’entendait-il avec les seigneurs de Malemort, eux aussi possesseurs d’une partie de la dîme, qui se prétendaient les fondateurs de l’église ?
Comment aussi les chanoines de Saint Martin ont-ils pu laisser s’échapper ce précieux bénéfice, à l’aube du XVll ème siècle, au profit des Doctrinaires installés au collège de Brive ?
Nous allons donc tenter d’y voir plus clair, en nous intéressant tout d’abord aux saints patrons et à la paroisse primitive, puis à l’église, telle qu’elle peut encore être admirée dans toute sa pureté et enfin au prieuré et à ses rapports avec les seigneurs.

Les saints patrons

Saint Santin ou Xantin

Selon la tradition, il aurait fondé l’évêché de Meaux, puis celui de Verdun, sous l’égide de Saint Denis. Devenu vieux et malade, il serait revenu mourir à Meaux, où il aurait été enterré. Selon ses partisans des légendes pieuses, il aurait vécu au Ier ou ll ème siècle, mais pour les modernistes, il est plutôt à situer au IV ème siècle.
Meaux prétend avoir toujours conservé son corps, mais à Verdun, ou raconte une autre histoire. Richard, abbé du monastère Saint Vanne de Verdun (970-1045) est un amateur de reliques. Il acquiert, pour son monastère, un bras de Saint Pantaléon, qui se trouvait dans l’église pillée de Comercy en l 033. Il entreprend de retrouver les corps de tous les premiers évêques de Verdun et de leur élever de magnifiques tombeaux.
Seul manque à sa collection, Santin, qui est enterré à Meaux.
Or en l 032, une terrible famine sévit à Meaux. La population s’est enfuie. Dans la cathédrale, ne veille qu’un prêtre.
Des marchands de Verdun regagnant leur ville et, connaissant les désirs de Richard, négocient l’achat du précieux corps et le ramènent chez eux. Qui sont ces marchands de Verdun, que l’on nous dit revenir d’Espagne ?
Il faut savoir que, depuis le 8ème siècle, Verdun est une plaque tournante du marché des esclaves païens. Tant que les saxons et les slaves n’auront pas été christianisés, ils sont les victimes de ce trafic, qui, à travers le royaume mérovingien, puis l’empire carolingien, mène de Verdun à l’Espagne musulmane, en passant, soit par la vallée du Rhône, soit par Toulouse.
Ces marchands sont juifs ou chrétiens. Comme les musulmans, ils ont des esclaves, à condition qu’on ne les ait pas convertis.
Hommes, femmes et enfants, sont ainsi vendus, malgré quelques voix isolées, qui dénoncent les profits scandaleux, générés par ce négoce, plutôt que le principe même de l’esclavage.
Les radhanites, élite marchande juive, ont un nom qui signifie les connaisseurs de route. Les esclaves hommes, destinés à Cordoue ou à l’Afrique du nord, sont castrés, car les musulmans ne veulent pas qu’ils fondent des familles. C’est la différence avec les esclaves destinés aux maîtres chrétiens.
Quel rapport avec Malemort ?
Brive est sur la route du nord vers Toulouse. C’est une route de marchands et de soldats. A Cahors, on raconte qu’Hermengaud, abbé de St Michel sur Meuse, de retour d’Espagne, où il guerroyait avec Charlemagne, a récupéré en passant le corps d’Anatole, évêque de Cahors, tué en 732
Ne serait-ce pas plutôt des marchands de Verdun, qui l’auraient rapporté ? Saint Michel est dans leur diocèse.
Mais à Malemort, il n’est pas question de reliques. En revanche, il est question d’une communauté juive, qui aurait été décimée lors des pogroms initiés par Philippe Le Bel, en 1307.
A Malemort, au Xlll ème siècle, il y a un riche marchand appelé Hélie de Verdun, qui est aussi un propriétaire terrien.
Sa famille et celle des Mamada, des David, des Salomon, relevés également dans la région, ont-elles au 9 ème ou 10 ème siècle, transmis à Malemort et aux premiers seigneurs de Malemort, la vénération à Saint Santin.
Il est significatif de constater qu’à Verdun, comme à Malemort et à Turenne, on vénère également un saint, pas très courant, Saint Pantaléon, qui va donner son nom à une paroisse Saint Pantaléon (de Larche) et au prieuré de Turenne.
Bref, Saint Santin devient le patron de Malemort, sans que l’on possède ses reliques.
Tout autre est Saint Cessateur. D’abord son nom : il a le privilège de faire cesser les fléaux divers : inondation, famine, épidémie, guerre. Ensuite, son origine; 32 ème évêque de Limoges, il est tout naturel qu’une paroisse dont le suzerain temporel est l’évêque de Limoges, choisisse son patronage. Enfin, ses reliques, au sujet desquelles on a une curieuse tradition.
Bernard Gui, un frère prècheur limousin (1261 -1331) qui deviendra inquisiteur à Toulouse, puis évêque de Lodève, a écrit une étude des saints limousins : parmi eux, Cessateur. Il aurait vécu au temps des vandales ? (lisez des sarrasins?) et aurait combattu contre eux. On l’aurait enterré prés de la Vienne, jusqu’à l’arrivée des Normands. Dans la crainte d’un pillage, son corps aurait été transporté à Malemort et confié aux dames, ou à ceux du château, qui le placent dans l’église.
La rage des païens s’étant calmée, le clergé de Limoges vient réclamer le corps. Mais ceux du château, avertis de leur arrivée, placent le corps en haut, sur la voûte du chœur et mettent un autre corps, à sa place, sous l’autel.
Trompés, les limougeauds ramènent ce corps, qui va à Limoges l’objet d’un culte modeste, supplanté par celui de Saint Aurélien, qui a l’avantage de guérir des otites. D’ailleurs, comment Cessateur pourrait-il opérer, puisque son véritable corps est resté à Malemort ? Il existait à Malemort deux autres lieux de culte : une chapelle castrale saint-Georges sur la plate-forme sommitale et une église dans le bourg, dont on ne connaît pas le patron, qui est déserte et abandonnée en 1652.
Les pères doctrinaires Guibert et Dieuze en montrent les vestiges le long du grand chemin qui va de Malemort à Brive. li n’en reste que le pignon et une partie du mur sud. lis voudraient finir de la démolir, pour bâtir le mur du cimetière.
Ne serait-ce pas l’église ou la chapelle Saint Cessateur dont les doctrinaires auraient enlevé les reliques avant de la démolir et en auraient donné un bras au père Gaudin en 1659 ?
Pourquoi auraient-ils voulu « le remuer» si ce n’est pas pour le transférer ailleurs, c’est-à-dire à Saint Santin ?

L’église

N’étant nullement une spécialiste de l’architecture de la très belle église romano-gothique de Malemort, je ne vais pas la décrire mais me consacrer à quelques points de détail la concernant.
D’abord son site.
Est-il possible de dire, comme le fait l’abbé Célerier que l’église primitive était à Arjassou près de la fontaine de Saint Santin et que c’était une hutte faite de branches d’arbres ?
Aucun document ne vient étayer cette hypothèse. Pourquoi ce site aurait-il été abandonné ?
Est-il raisonnable de prétendre qu’on a détourné le cours de la Corrèze pour bâtir la nouvelle église et que la Corrèze « occupait la plaine ». Mme Proust reprend ce thème, en indiquant que l’église fut édifiée dans le lit même de la Corrèze qu’il fallut détourner, en ayant soin d’établir un mur de soutènement. Quel travail incroyable?
Qu’un mur ait été établi pour protéger (imparfaitement) des inondations, c’est évident, mais qu’on ait bâti dans le lit, c’est très peu probable.
Passons à sa situation.
Pourquoi l’église est-elle si éloignée du bourg, de l’autre côté de la rivière ? Ne peut-on pas se poser la question inverse : pourquoi le bourg est-il si éloigné de l’église ?
Le curé Célerier résout le problème, en expliquant que l’église située dans le bourg était brûlée à chaque invasion et qu’exposés à « manquer » d’église, les habitants ont préféré la construire à l’écart, et en pierres, avec une voûte pour la protéger des incendies. Ce qui supposerait que l’église du bourg était en matériaux périssables. Pourtant, elle existe encore en 1652, si on en croit les Doctrinaires.
Ce que l’abbé ne dit pas, c’est que l’environnement de Saint Santin est très habité au début du moyen âge. Il est traversé par un itinéraire de Brive à Tulle, passant par Dampniat et suivant la Corrèze sur la rive droite. C’est le long de cet itinéraire et au carrefour d’une très vieille route Nord Sud, appelée chemin de Malemort à Turenne, qu’est bâtie l’église. Plusieurs passages sont possibles sur la Corrèze qui n’est nullement une barrière infranchissable.
Vient ensuite le problème de sa datation.
L’ église Saint Santin, telle que nous la connaissons semble assez homogène : le chœur remonterait aux années peu après 1150, les chapiteaux aussi. La nef, un peu plus tardive, ainsi que le porche, c’est-à-dire aux alentours de 1200.
Il est évident qu’il ne s’agit pas de l’église du temps des Normands, quand les gens « du château » ont accueilli le corps de Saint Cessateur, ni de celle dont le curé s’appelait Benoit témoin en 1073 d’une donation à l’abbaye d’Uzerche, ni de celle d’Elie Berton chapelain de St Santin qui a un conflit en 1144 avec l’abbé de Vigeois, au sujet du mas d’Angoisse (actuel en Gorsas). Ou il était le chapelain d’une église, dont on commençait de tracer les plans.
A ce sujet, il convient de savoir qui a financé et fait bâtir, durant une cinquantaine d’années, cette église.
Est-elle déjà un prieuré de Saint Martin de Brive ? Est-elle en partie due à la générosité des seigneurs de Malemort ?
Et qui sont ces seigneurs ?

Au début du Xll ème siècle
Pierre II de Malemort, né avant 1100, est le fils posthume de Pierre et d’Etiennette de Turenne. Il épouse, vers 1120/1130, Richarde de Comborn. Ils ont de nombreux enfants, qui vont donner naissance à plusieurs branches, installées à Malemort, et à Donzenac, Ussac et Saint Hilaire Peyroux …
Mais le plus célèbre de leurs enfants est Hélie, prieur de Brive en 1178, puis évêque de Bordeaux, de 1 192 à 1 206.
C’est, comme presque tous les Malemort, un fidèle des rois- ducs d’Aquitaine, dont Henri, son fils Richard et finalement Jean sans terre.
C’est un fin diplomate, qui marie Blanche de Castille à Louis VIII. Et aussi Jean sans terre à Isabelle d’Angoulême. On peut imaginer que ce prieur devenu évêque a les moyens de faire terminer l’église. Son frère Gaubert IV aura des fils morts avant lui et cède Malemort à son petit-fils, Pierre III dit le Saintongier, mais à son époque, l’église est terminée.
Son autre frère, Gérald I, né vers 1130, a été prisonnier des routiers de Comborn en 1174 et il est mort en 1177. Son fils Gilbert I dit Bragagosa (c’est-à-dire culotte de mendiant) est le responsable de la guerre féodale qui oppose les Malemort et les Comborn. Avec son épouse Marguerite de Lastours, il s’installe à Donzenac. Elle est veuve en 1218. Lui aussi, il a été pro-anglais.
La fameuse bataille de Malemort entre routiers et seigneurs de Comborn, de Limoges ainsi que de l’évêque, quasi aveugle, se déroule en 1177. Ni les Malemort, ni les Turenne n’y participent.
Il est question du trépas de 2500 aventuriers des deux sexes ( ?), qui ne réussissent à tuer qu’un chevalier dans le camp adverse.
Selon Marvaud, historien incontrôlable, le combat se serait déroulé dans la plaine de Lacamp (ce qui expliquerait que les tailleurs de pierre de Saint Santin, aux prises avec la construction de la nef n’aient même pas levé la tête !).
Bref, ces routiers, ayant été vaincus, les seigneurs de Malemort, qui les soldaient, doivent reconnaître leur défaite.
Gaubert, dont le fils est responsable de ce tapage, se présente aux brabançons de Comborn, une selle au cou.
Dans l’incapacité d’expliquer cette déroute des seigneurs de Malemort, les historiens locaux ont préféré croire que ces routiers, ou ces brabançons, étaient des électrons libres et qu’ils agissaient sans chef, alors qu’ils étaient soldés les uns par les Comborn et les autres par les Malemort.
Mais tout cela se termine bien : Hélie est prieur de Brive, son neveu Gilbert s’installe à Donzenac et, plus tard son petit neveu Pierre Ill prendra possession du château de Malemort.
Ceci pour dire qu’on pouvait bâtir une église en pleine guerre féodale, et que les chiffres donnés pour cette fameuse bataille doivent être très exagérés.
Les relations avec le prieuré de Brive, dont l’église est en construction à la même époque sont évidentes, surtout si l’on étudie les chapiteaux et leur style dit languedocien, venu de Saint Sernin de Toulouse et de Ste Foy de Conques.
Evelyne Proust, dans son étude sur la sculpture romane en bas Limousin relève la grande variété des 15 chapiteaux, sculptés dans un grès ocre à grains fins, se prêtent bien au ciseau du sculpteur. Il y a des chapiteaux à décor végétal de style corinthien, des chapiteaux à décor animalier lion, oiseaux et dragon.
Un seul chapiteau représente une scène de l’histoire de la vierge. On y voit la vierge âgée, tenant une palme et l’ange brandissant un bâton fleuri. Il ne s’agirait pas de l’annonciation, mais de l’annonce de l’Assomption.

Le prieuré

Les relations de l’église de Malemort avec le monde alentour

Malemort et Brive sont étroitement liés tant sur le plan spirituel que sur le plan temporel.
Brive doit son développement initial à la communauté de clercs qui s’est établie auprès du tombeau de Saint-Martin, dit l’Espagnol, vers la fin du 5 ème siècle, sous l’égide de l’évêque de Limoges. Ces clercs, vivant en communauté dans un enclos qui occupe le tiers de la première enceinte, sont qualifiés de chanoines dès le 9 ème siècle.
A la même époque, Brive devient le centre d’une vicairie, c’est-à-dire une circonscription civile dépendant de Limoges ou de Poitiers.
Vers 1100/1130, ces chanoines adoptent la règle de Saint Augustin et leur rattachement à la cathédrale de Limoges. Ils sont dirigés dorénavant par un prieur élu.
De Saint Martin de Brive, dépendent tout d’abord les autres églises du bourg, mais aussi deux paroisses avec château à l’ouest et à l’est du bassin de Brive : la paroisse de St Cernin avec Larche et la paroisse de St Santin avec la chapelle castrale.
Mais il est clair que la présence de puissantes abbayes bénédictines, à Uzerche, Tulle et Vigeois puis, plus tard, celle de l’abbaye cistercienne d’Obazine, freine l’expansion du prieuré des chanoines de Brive. Il parvient à négocier, avec Dalon, la possession de l’église de Chartrier contre le moulin de la Doux de St Cernin et, sans doute avec Solignac, la possession de Larche. On ne sait pas quand l’abbaye de Beaulieu a perdu Saint Christophe de Cousages, Sérilhac et Vénarsal. Enfin, les Malemort étant co.seigneurs de Brive et Malemort ont dû confier Malemort au prieuré de Brive.
A Malemort, le prieur-curé est nommé par le Prieur de Brive et c’est souvent un chanoine, jusqu’en 1610, et jusqu’au don, par Louis XIII, de l’église et de ses ressources (1100 livres par an), aux péres de la Doctrine Chrétienne.
Le temporel du prieur est constitué de rentes sur des maisons de Malemort, sur un certain nombre de mas autour du bourg. Mais il a à lutter avec la concurrence du petit prieuré de Montchal, situé à l’est de l’église et possesseur de rentes données par les Malemort et il a surtout à lutter avec les seigneurs de Malemort et les possesseurs de menus fiefs, qui sont à la fois des protecteurs bien encombrants et des usurpateurs de rentes ou de dîmes.
L’église Saint Santin est donc l’objet de conflits divers dont les plus apparents sont ceux qui concernent les honneurs, que sont le droit de tombeau, de litre, de banc, et d’encens, réservés aux fondateurs.
Malemort étant une co.seigneurie, d’abord entre diverses branches des Malemort, puis à partir du Xlllème siècle, partagée entre les Turenne, les Malemort et les Saint Michel de Puymaret et tous ces seigneurs se considérant comme des fondateurs, ou des donateurs, les conflits sont fréquents.
Ils ne cessent pas lorsque les Malemort sont remplacés par les Montai Nozières puis par la redoutable famille de Noailles au XVlème siècle. Si les Malemort ne se montrent pas trop intrusifs, c’est parce qu’ils ont fondé au Xlllème siècle, le couvent des Jacobins (dominicains ou frères prêcheurs) de Brive. C’est là qu’ils se font enterrer. En revanche, au XVème siècle, un long conflit oppose leurs successeurs les Nozières Montai, à la famille des Bar de Puymaret, qui a succédé aux Saint Michel.
Ces derniers, au grand mécontentement des Turenne et des Nozières Montai, se disent co.seigneurs de Malemort et détenteurs d’une part de la justice haute.
Ils ont à Saint Santin, un banc devant le grand autel (qu’ils appellent grand Haultier) avec défense d’en installer un autre.
En 1482, les Nozières Montai font mettre, devant ce banc, leur banc à trois sièges, si près de l’autel, disent les seigneurs de Puymaret, qu’ils peuvent lever, sans sortir du banc, la queue de la chape du curé et ouïr les secrets de la messe.
Les seigneurs de Puymaret démolissent le banc et les Nozières font appel au roi. Après un monitoire et une enquête de l’official de Limoges, les Bar sont obligés de rétablir le banc, la litre funéraire des Nozières et les armes qui s’y trouvaient.
Beaucoup plus tard, lorsque les Noailles, après 1 581, et les Turenne, sont coseigneurs de Brive et Malemort, le conflit passe à l’échelon supérieur. Ces deux familles sont continuellement en procès. Dans leurs églises, l’attention se concentre sur la litre funéraire, peinte en dedans et en dehors de l’église, lors d’un décès dans la famille.
Cette litre peut-être celle du seigneur fondateur de l’église, ou celle du seigneur haut justicier dans la paroisse, mais son emplacement et sa hauteur dépendent du rang atteint par le seigneur.
Les Turenne sont, non seulement vicomtes, mais ducs et, chose épouvantable, princes de Sedan et Bouillon, titre qu’ils ont gardé après la vente de Sedan au roi.
Les Noailles sont ducs et maréchaux, ce qui leur donne droit à une double litre pour le fief et pour la dignité.
Les Turenne sont, non seulement vicomtes, mais ducs et, chose épouvantable, princes de Sedan et Bouillon, titre qu’ils ont gardé après la vente de Sedan au roi.
Les Noailles sont ducs et maréchaux, ce qui leur donne droit à une double litre pour le fief et pour la dignité.
Le problème est de savoir laquelle doit surplomber l’autre.
En 1678, on fait un mémoire sur les entreprises de Noailles: à la mort d’Anane de Noailles, le premier duc, ils ont fait effacer, par Molusson, peintre de Brive, la litre funèbre des Turenne, mise dedans et dehors, lors du décès de Frédéric Madrice en 1654.
En 1691, nouveau procès. Il ne faudra pas moins que Mr de Lamoignon, avocat général, le chancelier d’Auguesseau et le duc de Chevreuse, un proche de Louis XIV, pour régler l’affaire, en donnant aux deux familles un droit alternatif de litre.
Le triomphe des Noailles et la présence encore visible de leur litre à Saint Santin ne seront définitifs qu’en 17 48, lorsqu’ils auront racheté au roi la part des Turenne sur Brive et Malemort.

Pendant ce temps, les Doctrinaires, hostiles, comme tout le clergé, aux marques ostentatoires de seigneurie, à l’intérieur ou à l’extérieur des églises, ne bougeaient pas et observaient un silence prudent. C’est une époque, le XVlllème siècle, où ils sont qualifiés de jansémistes et ont la sympathie du neveu du cardinal Dubois, alors que les chanoines de Brive, sécularisés depuis le XVlème siècle, passent pour ultramontains. Mais l’église de Saint Santin va connaitre bien d’autres outrages que le barbouillage de litres. Les doctrinaires ont bâti, ou restauré, le prieuré jouxtant l’église, en se servant, en 1623, des pierres du prieuré de Montchal et,en particulier, des colonnes de son cloître. Ils ont dû entretenir correctement l’église. Mais, lorsque la révolution éclate, le doctrinaire J.B Sélébran et son vicaire Labarde, refusent de prêter serment en 1791, et quittent la paroisse, remplacés par le curé Donoville.
La suite, racontée par l’abbé Célerier, à partir de traditions locales, fait mention de l’église, transformée en temple de la Déesse Raison. Le nommé Graulière de Montemart vient de nuit, procéder au sauvetage d’une partie du mobilier religieux.
Il met « sous son bras » une statue de Notre Dame de Pitié et « sur son épaule » une statue de la Sainte Vierge. Doté certainement d’une force herculéenne, il rentre chez lui et confie la statue de la vierge à la famille Reynal : l’abbé Célerier nous précise qu’en 1920, cette famille la possédait encore. Quant à Notre Dame de Pitié, elle est mise entre une cheminée et un toit d’une maison, à l’entrée du bourg. En 1917, elle est « trouvée » par la famille Béril, qui la conserve. Toujours sous le couvert de la tradition, on va chercher au Peyrou « une jeune fille d’une rare beauté » pour jouer le rôle de la Déesse Raison. Puis une farandole se dirige vers l’église. On chante le ça ira, on brise les vitraux, on démolit les autels, les bancs, la balustrade, et dans le cimetière, on brûle les ornements et les livres liturgiques.
Le clocher est démoli et les cloches emportées. Que reste-t-il après ce passage? En 1920, quelques restes du retable du XVll ème siècle, qui servent à faire l’autel de St Joseph, avec le tabernacle du maitre autel et une sainte Cécile qui en faisait partie.
L’inventaire des années 1970, établi par Isabelle Dulac Rooryck, mentionne ce tabernacle en bois peint, une statue fin XVllème d’une Vierge à I’Enfant. La vierge de Pitié en chêne, du XVlème siècle, dans une collection privée. Le buste reliquaire de St Jean Baptiste a disparu, mais le buste reliquaire de St Santin est dans une collection particulière.
Sainte Cécile, statue en bois du XVllème siècle et un panneau en bas relief qui la représente aussi, figurent dans l’inventaire.
En 1803, le culte reprend, mais à cette date le prieuré a été vendu depuis plus de 10 ans au sieur Meyjonade. L’église est incommode parce qu’il faut traverser la Corrèze et l’on songe à utiliser un ancien bâtiment dans le bourg, sur une éminence, dont« la structure gothique annonce qu’il s’agit d’une église » ? La citoyenne du bourg, à qui elle appartient, a promis de la vendre. En attendant, on va se contenter de remettre les vitraux, de recrépir la voûte et d’acheter des objets liturgiques. En 1823, la commune achète le presbytère à Marie Thérèse Serre de La Coste (Dampniat), représentant son beau-père, Bernard Mayjonade, pour 6000 F. De nouvelles cloches sont fondues en 1810 et 1824. En 1835 l’église est considérée comme en assez bon état. Mais elle menace ruine en 1892, à tel point qu’en 1902, l’architecte Crémoux préconise une reconstruction.
Heureusement, Louis Bonnay, l’architecte de Brive, la trouve intéressante. L’abbé Poulbrière quant à lui, loue son site plein de suavité.
L’église Saint Santin sera classée en 1905, et restaurée à partir de 1912.
Les derniers travaux remontent à 1997 et sont consécutifs à l’incendie, qui a nécessité un nettoyage des chapiteaux et des murs.

Conférence de Marguerite GUELY
Présidente de la société scientifique,
historique et archéologique de le Corrèze