Domestique au château de la Grande-Borie
Lors de la reddition des Allemands, elle témoigne
Marie-Louise Breuil était servante au château de la Grande-Borie, en 1944, quand la reddition de la garnison allemande de Brive y a été signée.
Quand les mots vous brûlent la gorge, la parole devient pénible. La souffrance qu’a vécue Marie-Louise, 87 ans, est remontée à la surface quand elle a raconté « son 15 août 1944 ». Un jour qu’elle n’a jamais oublié, même 70 ans après.
« J’avais 17 ans quand j’ai commencé à travailler au château, au service des Cavaillés. Je ne me souviens même plus du prénom de Monsieur. On l’appelait Monsieur, de toute façon. Ce 15 août, il nous a réveillées, Nounou (la cuisinière, NDLR) et moi, à 7 heures. Les jours fériés, Monsieur et sa femme ne se levaient pas et restaient dans leur chambre toute la journée. C’était bizarre que Monsieur soit déjà debout. li nous a dit: « Descendez ! Vite ! » »
Premier passage du colonel Bôhmer, vers 11 heures
En bas, dans la cour du château de la Grande-Borie, une bonne centaine de résistants les attend. Marie-Louise ne sait pas comment et quand « ces gars sont arrivés ». Il faut leur préparer du café. Elle s’exécute. Ce qui devait être une journée très simple prend une tournure rocambolesque.
« Monsieur accueillait beaucoup de résistants, le sous-préfet venait souvent aussi. Entre autres. Peu de temps avant, les Allemands étaient venus fouiller. Ils se méfiaient. Mais nous, on était au courant de rien, on ne pouvait pas déceler ce qu’il pouvait se passer. Monsieur nous a dit, Nounou et moi, de nous préparer. Le colonel allemand allait arriver».
Vers 11 heures, le lieutenant-colonel Bèihmer arrive sur les lieux. Ordre est donné aux domestiques de servir le champagne. Marie-Louise, inquiète et très impressionnée, amène une bouteille et s’efface. « Ils ne l’ont pas bue à ce moment-là, se souvient la Corrézienne. La négociation a dû échouer».
L’après-midi, tout se calme. Marie-Louise lit dans le parc. Avec Nounou, appelée ainsi par la famille« parce qu’elle a allaité la soeur de Madame, en même temps que son propre enfant ».
Pour les deux servantes, impossible d’en savoir davantage. De plus, à cette époque, Marie-Louise est terrorisée. L’Occupation, à la campagne, ne serre pas autant les ventres qu’en ville. Au château, on mange même largement à sa faim. Mais, dans les têtes, le mal est fait. Marie-Louise a peur, même quand, aujourd’hui, elle « ose » chercher dans sa mémoire ce qu’il s’est passé ce 15 août-là.
« Tous les jours, on avait peur. On avait tout le temps peur !, reprend Marie-Louise, les yeux écarquillés par la douleur qui ressurgit. Dans ma famille, on était quatre enfants. Je suis l’aînée. Mon père était agriculteur à Langlade. Il voulait nous protéger et nous avait dit de ne parler à personne, de quoi que ce soit. Des Allemands, des résistants, on ne savait rien, on ne disait rien. On avait interdiction d’aller aux bals. Je lui en ai voulu, vous savez, mais c’était mieux comme ça».
« Puis, subitement, Monsieur est monté »
Le soir venu. Marie-Louise n’a pas servi le repas aux Cavaillés. « Nous, les domestiques, on a mangé, c’est sûr. Mais eux … On savait que le colonel allait revenir. Moi, je le trouvais très beau, ce colonel, un homme très grand. Vers 19 h 30, peut-être, les hommes sont revenus. Moi, j’étais dans une chambre, avec Nounou qui me demandait toujours : « Qu’est-ce qu’il va se passer, dis? ». « Je ne sais pas ma Nounou », que je lui répondais. On comprenait sans comprendre. Puis, subitement, Monsieur est monté nous voir. « Ça y est, c’est fini ! La reddition est signée ». Et il est reparti. Nous, on savait ce qu’on devait savoir».
Le lendemain, les patrons de Marie-Louise lui offrent le champagne. Quelques jours plus tard, l’aviation allemande bombarde le château, mais rate sa cible. Seules les vitres de l’édifice sont brisées.
« Une plaque de marbre a été gravée dans le salon, en l’honneur de la reddition, conclut Marie-Louise. j’aimerais beaucoup savoir si elle est restée en place, avec le temps … »
Alexandre Larue