Le Patrimoine Malemortois par Jean LE PANSE – Moyen Age
Suite de l’article de Jean Le Panse paru dans la revue 2019
Le Moyen Age
Troisième étape de notre survol historique, la plus importante, évidemment, pour ce qui est du patrimoine : le Moyen-âge. Je vais vous demander de vous transporter en imagination (je vous y aiderai, rassurez-vous) à la charnière du XIV° et du XV° siècle, approximativement en 1400 : c’est l’apogée de la Malemort médiévale. La « paroisse St Xantin », comme on dira bientôt, comprend alors le bourg rural situé au pied et aux flancs de la colline de Montemart et un certain nombre de village campagnards, les mêmes villages qu’aujourd’hui : le Peuch, le Mas, Meyrat, le Peyrou, etc…. Malemort est avant tout une seigneurie, une des trois plus importantes seigneuries du Bas Limousin, les deux autres étant Turenne et Comborn (cette dernière dans le canton de Vigeois). A vrai dire, depuis le XIII° siècle, Malemort est une co-seigneurie : en 1320, par le jeu des mariages, les Turenne sont devenus co-seigneurs conjointement avec les Malemort. Mais le territoire de la commune actuelle relève également çà et là des seigneuries de moindre importance : tel village, comme Roumégoux, dépend de la seigneurie de Favars. Et puis, il y a les châtelains de Puymaret. Mais enfin les féodaux les plus importants de la région sont, et de loin, les Malemort alliés aux Turenne.
A l’origine, ils résidaient dans un puissant château fort érigé au sommet de la colline de Montemart. Il s’appelait Beaufort (Bello fortis : puissant pour la guerre) et datait de la première moitié du XII° siècle, mais à la date où nous nous situons, en 1400, il était déjà en ruine. Moins qu’aujourd’hui, certes (il ne reste plus qu’un pan du donjon,) mais inhabitable tout de même. Vous voyez que la démolition du patrimoine malemortois ne date pas d’hier. Elle avait commencé, cette destruction du château de Beaufort, avec le passage des Brabançons en 1170. Il faut se souvenir, qu’à cette époque, régnait une insécurité sans aucune commune mesure avec celle dont se plaignent nos contemporains : des bandes armées parcouraient le pays, vivant de pillages et vendant leurs services aux plus offrants. Il se trouve qu’en 1170, le seigneur de Malemort, prénommé Gilbert, s’était querellé, pour un motif futile, comme toujours, avec Archambaud, seigneur de Comborn. D’où une lutte à mort et naturellement absurde, comme toutes ces querelles entre féodaux. Archambaud loua donc les services d’une bande de « Brabançons » de passage et leur demanda d’aller s’emparer du château des Malemort, ce qu’ils firent en 1175.
Mais ils ne s’arrêtèrent pas en si bon chemin. Maîtres du château, ils entreprirent de ravager toute la région et se disposaient même, dit-on, à aller attaquer l’abbaye de Tulle. Tant et si bien que le vénérable père abbé de St Martial de Limoges sonna le rappel de toute la noblesse du Limousin et l’enrôla dans une « croisade » (depuis la prise de Jérusalem, toutes les expéditions militaires, y compris les plus sanglantes, étaient des « croisades ») pour en finir avec ces pillards Brabançons. Ceux-ci furent battus en 1177 à la bataille de Lacan, là où se trouve aujourd’hui la limite entre Brive et Malemort. Leur chef fût tué, le château de Montemart fût repris de haute lutte : il était évidemment très endommagé et ne sera plus jamais la résidence des Malemort.
C’est pourquoi en 1400 (j’y reviens), il ne restait plus qu’une ruine au sommet de la colline. A ses pieds s’entassaient les chaumières des paysans du bourg, un bourg rural, bien entendu. Vous voyez ici une gravure représentant Malemort au XVIII° siècle. Trois siècles plus tôt, le tableau devait être assez peu différent : avant la Révolution industrielle et technique, les changements étaient extrêmement lents. Il y avait cependant au moins deux différences : en 1400, les ruines au sommet de la colline devaient être beaucoup plus imposantes ; elles servirent ensuite de carrière de pierres pour construire les maisons du village de Montemart et bien d’autres sans doute. De plus, en 1400, il y avait une église dans le bourg, dédiée, nous le savons, à St Michel. Et cette église devait avoir un petit clocher.
Où se trouvait-elle ? Sur la petite place à laquelle on accède par le raidillon qui part de la Croix de St Jacques (un des plus beaux éléments du patrimoine malemortois). On voit là une grande maison qui, sur son mur de droite, présente des traces de fenêtres en ogives. Ce mur est donc celui de l’ancienne église. Du reste, au tout début du XIX° siècle, comme les Malemortois trouvant ST Xantin trop éloigné du bourg (d’autant qu’ils devaient prendre une barque pour s’y rendre), et réclamaient la construction d’une église au milieu du bourg, le maire, Mr Vielbans (on était en 1803), déclara au Conseil municipal « qu’il existe un ancien bâtiment qui annonce par sa structure gothique avoir été une ancienne église, placée au milieu du bourg sur une éminence et qui pourrait convenir ». Le projet n’eut pas de suite mais retenons, qu’en 1400, il y avait une église gothique dans le bourg qui est aujourd’hui devenue une maison. Notre ancien Président, Daniel Freygefond, avait visité cette maison et il m’a raconté qu’on y voit effectivement des fragments de l’ancienne église St Michel. La magnifique Croix de St Jacques qui se trouve en contrebas, une des plus belles de France, décorée du bourdon et des coquilles St Jacques, emblèmes des pèlerins, prouve que cette église servait d’étape aux pèlerins qui se rendaient à Compostelle en passant par Rocamadour. Peut-être y avait-il une auberge dans le bourg pour ceux qui étaient plus fortunés, mais la plupart des pèlerins dormaient dans les églises.
Et les seigneurs de Malemort ? Leur château de Beaufort, au sommet de la colline, étant inhabitable depuis 1177, où résidaient -ils en 1400 ? La réponse est simple : au château de Bréniges, bien sûr, sur l’emplacement duquel nous nous trouvons (2) et qui avait été construit, sans doute, vers 1200/1250. C’était un quadrilatère avec une tour à chaque angle, des remparts crénelés et des douves alimentées par le ruisseau des Saulières. Les deux tours que l’on voit d’ici sont les seules qui subsistent, mais bien entendu, seules leurs bases sont d’époque, le niveau où nous nous trouvons étant celui XIII° siècle : le haut des tours ainsi les toitures sont modernes. Il existait encore, dans la première moitié du XX° siècle une troisième tour qui fut démolie dans les années 50, Jean Kantelip étant Maire de la commune : il s’agissait de faire de la place pour construire l’ancienne Mairie. Cette tour démolie avait été la chapelle de château. Son plafond en rosace seul subsiste. Il a été sauvé in extremis par les Amis de Malemort, essentiellement Daniel Freygefond et le Dr Georges Fréchinos, et il orne désormais le mur du fond de la salle où nous nous trouvons (2). Avec la Croix de St Jacques et les objets du Musée Labenche dont j’ai parlé, c’est un des éléments les plus anciens du patrimoine malemortois. On y discerne, dit l’abbé Célérier, historien de la commune, « le style à lancette du XIII° siècle ».
Cependant, avant de s’installer au château de Bénignes où ils résidaient vers 1400, il semble bien que les seigneurs de Malemort, quand ils durent quitter Montemart et en attendant que Bréniges soit construit, aient résidé quelques temps dans une autre construction très mystérieuse car il ne reste absolument aucune trace. Cette construction, probablement contemporaine du château de Montemart et donc antérieure à Bréniges, devait se trouver sur l’emplacement de l’actuelle place du Dojo, là où se trouvait, il n’y pas si longtemps encore, la papeterie. Avant la destruction de ce qu’il restait de l’usine (en 1989) et l’aménagement de la place du Dojo, il était encore possible de voir, dans l’enceinte de cette usine, les derniers vestiges de cette mystérieuse construction que je serai tenté d’appeler un O.F.N.I. (Objet Féodal Non Identifié). Je n’ai pas vu, personnellement, ces vestiges mais j’en ai lu une description faite par Mr Robert Saulière, un des pères fondateurs de notre Association, dans un article publié par lui en 1978, dans un des premiers numéros de notre revue, et republié par nos soins en 1994. Voici l’extrait de cet article qui intéresse notre sujet :
« Son château de Montemart étant occupé par les Brabaçons, Gilbert alla habiter dans l’importante demeure qui est aujourd’hui l’usine. De cette demeure, il ne reste que deux bases de tours carrées. Dans l’une de ces tours aux murs très épais, on voit enserrée une porte romane sur la clef de voute de laquelle se détache en relief un écu de trois pieds qui semble avoir été placé là pour servir de socle. Sur la pièce du milieu est dessinée une marguerite. Ces armoiries n’étant pas les armoiries complètes des Malemort, sont à n’en pas douter celles personnelles de Gilbert de Malemort qui avait pour épouse Marguerite. Le séjour de Gilbert dans cette demeure ne dut être que transitoire en attendant que fût construit le château de Bréniges. »
Voilà un témoignage capital. Cette demeure, comme dit Mr Saulière, cet O.F.N.I. que pour simplifier j’appellerai le «Château de la Marguerite», ne devait pas être, à proprement parler un « château ». Une petite seigneurie comme Malemort n’avait certainement pas les moyens de se payer deux châteaux. Alors ? Était-ce une sorte de moulin fortifié ? En tout cas, Mr Saulière parle bien de « deux bases de tours carrées ». Difficile d’en savoir plus puisque, depuis 1989, rien ne subsiste de tout cela. En tout cas, s’il y avait une issue de secours qui partait du château de Montemart pour permettre aux assiégés de s’enfuir (une telle issue existait dans la plupart des châteaux-forts du Moyen-âge), c’est probablement dans cette construction qu’elle aboutissait. Toute la colline de Montemart est truffée de cavernes naturelles qui, aujourd’hui cloisonnées par des murs, servent de caves aux maisons, en particulier à celles de la Rue des Roses. Mais avant ces cloisonnements, au début du XXème siècle encore, il était possible de descendre toute la colline par les souterrains, comme l’ont fait, parait-il, deux oncles de notre Président, M. Mas, et l’on aboutissait à proximité de l’actuelle place du Dojo. C’est probablement lors de la construction de la R.N. 89, au milieu du XIXème siècle, que le souterrain a été obstrué à cet endroit.
Le Château de la Marguerite a disparu, mais vous savez sans doute qu’il en subsiste pourtant un vestige : c’est la Marguerite elle-même. Cette clef de voûte de la « porte romane » dont parle Mr Saulière, est visible aujourd’hui dans la salle du Dojo, celle qui donne sur la place. Il y a d’ailleurs un débat au sein des Amis de Malemort au sujet de cette Marguerite, certains se demandant si la pierre du Dojo est bien l’originale ou si ce ne serait pas une copie. Pour ce qui me concerne, n’ayant pas vu l’original avant la destruction du site,je ne peux pas avoir d’opinion catégorique.
Ce mystérieux O.F.N.I., ce château de la Marguerite, se trouvait donc au bord de la Corrèze. Vers 1400, il donnait accès à un pont à multiples petites arches (on peut encore voir des traces de quelques piles quand l’eau est claire) et ce pont, construit au XIII ème siècle, à peu près à la même époque que Bréniges, aboutissait, de l’autre côté de la rivière, à l’Hôpital Bodat. L’Hôpital, lui-même a disparu (selon Poulbrière, il était déjà en ruine au 17ème siècle), mais le nom du lieudit en a conservé le souvenir. Cet « hôpital » devait sans doute être une léproserie, d’où son éloignement du bourg. Selon l’abbé Célérier, « l’Hôpital Bodat » avait été fondé en 1259.
Nous voilà donc arrivés sur la rive gauche de la rive gauche de la Corrèze. Plus loin, à distance respectable du bourg et des constructions féodales, et séparé d’eux par la Corrèze, se trouvait à la date qui nous intéresse (1400), le prieuré St Xantin.On appelait prieuré l’annexe d’une abbaye. En l’occurrence, il s’agissait de l’annexe d’un autre prieuré, celui de St Martin de Brive, l’abbaye-mère étant St Martial de Limoges. St Xantin était un prieuré de moines, mais Il y avait aussi un prieuré de nonnes à Montchal. Il n’en reste aucune trace, si ce n’est, paraît-il, des souterrains très souvent inondés.
L’Église St Xantin est évidemment, et de loin, l’élément le plus important du patrimoine malemortois, le seul qui soit classé monument historique. J’ai raconté dans notre revue qu’en 1892, l’église était quasiment en ruine et, comme la commune n’avait pas les moyens de la faire restaurer, c’est son classement par l’État en 1905 qui a permis de la sauver. L’édifice, qui a vraisemblablement succédé à une église plus ancienne qui devait se trouver du côté de l’actuelle fontaine St Xantin, plus loin en direction du Jassou et qui abrite les reliques d’un nommé Xantin, lequel était évêque de Meaux au second siècle, cette église est du XIIème siècle, contemporaine, par conséquent du donjon du château de Montemart.
Question d’actualité que je ne devrai pas poser mais que je pose quand même : l’ancien presbytère qui jouxte l’église et qui masque partiellement sa façade, est-il l’ancien prieuré du Moyen-âge, c’est-à-dire le bâtiment où logeaient les moines ? Vous savez qu’en principe il n’y a plus lieu de se poser la question puisque les autorités culturelles régionales ont décidé que oui et que la restauration du bâtiment est en cours ; j’ai pourtant écrit le contraire dans notre revue et, il y a quelques années, le Conseil Municipal de Malemort avait plusieurs fois demandé la démolition du bâtiment pour mettre en valeur l’église. Ceci mérite explication.
Ce qui est sûr, c’est que le bâtiment est composite, fait de pièces et de morceaux à des dates diverses : la galerie à colonnes, par exemple, coté Corrèze, est toute récente ; les colonnes sont venues du prieuré de Montchal, à la fin du XIXème siècle, quand Montchal a été démoli. L’abbé Brunie, ancien curé de Malemort, avec lequel j’ai longuement parlé de ce sujet, connaissait un très vieux Malemortois qui se souvenait d’avoir assisté, dans sa jeunesse, à la mise en place des colonnes. Quant au bâtiment lui-même, le plus éminent prédécesseur de l’abbé Brunie, l’abbé Célérier, historien de la paroisse et de la commune, affirme péremptoirement qu’il est ancien, quoique composite : une partie, celle qui est attenante à l’église, serait du XIIème siècle, une seconde du XIIIème siècle et la troisième du XIVème siècle, porche compris. Voilà qui est bien catégorique, mais aussi surprenant.
L’abbé Célérier écrit aussi que plus tard, le presbytère appartint « aux Pères doctrinaires de Brive ». Nous y voilà. Ces « Doctrinaires » ou Pères de la Doctrine Chrétienne, étaient des religieux spécialisés dans l’éducation de la jeunesse et quand, en 1607, la ville de Brive décida d’ouvrir un collège, c’est à eux qu’on fit appel et l’on sait qu’aujourd’hui, le bâtiment où se trouve la mairie de Brive est encore souvent appelé « le collège des Doctrinaires ». En 1613, les Doctrinaires se virent attribuer la paroisse St Xantin de Malemort. Il s’agissait évidement de leur procurer un revenu, car sous le régime, une paroisse (et plus encore bien sûr un évêché) rapportait de l’argent à son titulaire, grâce à la dîme et aussi aux terres qu’elle possédait. Donc en 1613, les Doctrinaires arrivent à Malemort. Sans doute n’y avait-il plus de moines dans le prieuré à cette date. Peut-être même le prieuré menaçait -il ruine.
L’abbé Brunie avait un argument décisif pour contester que l’ancien presbytère fût le prieuré médiéval : il montrait la pierre qui sert de clef de voûte au porche dont on nous dit qu’il serait du XIVème siècle. On y voit l’emblème des Doctrinaires, la croix et deux attributs de la Passion et l’inscription (en français et non en latin qui était la langue des moines du Moyen-âge) « Vive Jésus ». Cet emblème, on le voit aussi sur le socle de la croix du cimetière qui est donc de la même époque, postérieure à 1613. On objectera que les Doctrinaires ont très bien pu graver leur emblème dans une pierre du prieuré. Ce n’est pas le cas car l’emblème n’est pas gravé dans la pierre, il est en relief. L’arcade d’entrée du porche n’est donc sûrement pas médiévale.
Que les Doctrinaires aient utilisé pour construire leur presbytère les pierres du prieuré, c’est évident. Qu’ils aient même conservé des parties de l’ancien édifice, c’est possible. Mais que l’ensemble soit le prieuré du Moyen-âge, c’est pour le moins douteux. Ironie du sort : alors que tant de choses anciennes et authentiques ont été détruites à Malemort, pour une fois que l’on se décide à faire une restauration, il faut que ce soit pour un édifice dont l’authenticité n’est pas assurée !
J’en reviens donc à mon propos initial : Malemort en 1400. Au sommet de la butte, un château-fort en ruines, mais encore imposant. Au pied de la colline, un village rural avec une église gothique et deux constructions féodales : Bréniges et le château de la Marguerite donnant accès à un pont qui menait à un établissement hospitalier ; plus loin, enfin, le prieuré St Xantin et son église romane …Si tout cela avait survécu, Malemort pourrait aujourd’hui rivaliser avec Curemonte, peut-être même avec Collonges …. Mais tout cela a disparu sauf St Xantin, Quand ? Comment et pourquoi ? Quand : la réponse est précise : en 1410. Comment et pourquoi : cela demande quelques explications historiques.
*
En 1410, on est en pleine « Guerre de Cent Ans ». On désigne sous cette appellation une longue période d’hostilité chronique entre la frane et L’Angleterre mais aussi (on le sait moins) de guerres civiles franco-françaises, comme c’est presque toujours le cas quand le pays est occupé. Il y avait en 1410 un parti pro-Anglais et un parti de « résistants » ou de « patriotes ». Le parti pro-Anglais, les « Bourguignons », comme on disait, parce que leur grand homme était le Duc de Bourgogne, c’étaient essentiellement les féodaux, l’aristocratie, c’est-à-dire (nous sommes au Moyen-âge), l’armée. Les patriotes qu’ont appelait parfois les Armagnacs, c’étaient surtout le « Tiers-Etat », non pas tant les paysans (90% de la population, mais misérables et inexistants politiquement) que la bourgeoisie urbaine, force politique montante qui ne cessera de monter jusqu’en 1789.
Les seigneurs féodaux, au moyen-âge, appartiennent à une hiérarchie où le vassal prête serment à son suzerain, et ceci jusqu’au sommet de ladite hiérarchie. Or le Roi de France, Charles VI, est devenu fou en 1392 et sa femme Isabeau de Bavière, sous l’influence des Bourguignons, livrera officiellement la France aux Anglais en 1420 par le traité de Troyes. Dans la région, les féodaux, ce sont Turenne et Malemort. Le parti adverse, ce sont les bourgeois de Brive : la ville ne compte que quelques milliers d’habitants, mais bien protégés par leurs remparts et bien organisés. En 1410, ils s’adressent au roi et lui font savoir que Turenne « a fortifié contre eux trois forteresses, les châteaux de Malemort, Lagarde et Lachapelle qu’il a garnis de larrons meurtriers, Anglais, bannis, espions et autres malfaiteurs ». Moyennant quoi, ils demandent au roi la permission de se défendre. On sait que la politique des Rois de France a toujours été de s’appuyer sur la bourgeoisie des villes contre les féodaux et ce jusqu’à Louis XIV inclusivement. En 1410, Charles VI (ou du moins ses services) s’empresse de répondre favorablement aux Brivistes. Il leur envoie même un petit corps expéditionnaire pour les aider à se débarrasser des féodaux.
La milice briviste, aidée par l’armée royale, marche donc sur la place la plus proche, Malemort, et elle casse tout. Elle met Malemort en ruine. « Tout », c’est-à-dire d’abord, bien sûr, les châteaux des Malemort : Bréniges et l’O.F.N.I. de l’actuelle place du Dojo qui sont systématiquement saccagés. Mais, pendant qu’ils y sont, ils détruisent aussi l’église du bourg et le pont sur la Corrèze. Autrement dit, ils punissent la population civile qui n’y était pour rien. A vrai dire, ils ne détruisent pas entièrement le pont du XIII siècle, ils se contentent de le rendre inutilisable en démolissant les arches du bout, coté Hôpital Bodat. Avant 1410, le pont avec les deux grosses tours carrées du château de la Marguerite qui lui donnaient accès, devait ressembler au pont de Cahors ; après le passage des Brivistes, il ressemblait au pont d’Avignon qui s’arrête au milieu du Rhône.
Il peut être intéressant de savoir ce que sont devenus tous les monuments saccagés en 1410. Le château de Breniges et celui de la Marguerite, ou plutôt leurs ruines furent acquises au début du XIX° siècle par Charles Le Clère, fils de cet industriel d’origine irlandaise, qui avait créé une manufacture textile à Brive avant la Révolution. Charles transféra toutes ses activités industrielles de Brive à Malemort. Dans les ruines du Bréniges, il créa (ou reprit) une magnanerie, c’est-à-dire un élevage de vers à soie et sur l’emplacement de l’ancien O.F.N.I. de l’actuelle place du dojo, il installa une filature qu’il revendit, plus tard, au célèbre Elie Massenat, futur maire de Malemort qui remplaça la filature par une papeterie. Celle-ci changea plusieurs fois de propriétaire jusqu’à sa démolition en 1989. Mais dans ce périmètre, un autre établissement s’était créé dès le XVII° siècle : un moulin (à grain) installé au bord de la Corrèze par un nommé Dominique Delon, ancêtre de Jacques Delon, premier Maire de Malemort en 1790. Ce moulin, plus tard intégré à l’usine de Massénat, a fini sa carrière, comme on le sait, sous la forme d’une microcentrale électrique créée en 1976 par M. Laval, de Brive, qui avait acheté les bâtiments de l’usine. Le bâtiment de la microcentrale, ancien moulin à grains des Delon, existe toujours au bord de la Corrèze. C’est le seul des nombreux moulins qui fonctionnaient autrefois à Malemort, dont il reste un vestige. Quant aux ruines de Bréniges, quand la magnanerie des Le Clére cessa de fonctionner, c’est une ferme, une exploitation agricole, qui la remplaça jusqu’à ce que la Mairie fût bâtie sur une partie de son emplacement.
Les murs de l’ancienne église du bourg furent réutilisés, je l’ai dit, par une maison particulière qui existe toujours. Quant aux Malemortois, ils n’eurent plus d’autre ressource, pour assister à la messe, que d’aller au prieuré de St Xantin. Mais l’église du prieuré était une église de monastère et non une église paroissiale. Les moines n’y accédaient non pas par le grand portail actuel, qui n’existait pas encore, mais ils passaient du prieuré à l’église par une passerelle, sans doute en bois, qui arrivait à une porte, aujourd’hui murée, qu’on peut encore voir à mi-hauteur de l’édifice, à gauche de la façade. Après quoi, ils descendaient dans l’église par un escalier en bois et s’asseyaient sur les bancs de pierre le long des murs. Quand l’église est devenue paroissiale, il fallu percer la porte actuelle qui, comme chacun peut s’en rendre compte, n’est pas du même style que le reste de l’édifice : elle a été faite dans le style ogival du XV° siècle, après 1410.
De plus, les infortunés Malemortois, n’avaient plus de pont pour aller à St Xantin : ils devaient donc traverser la rivière soit à gué, soit en barque et, pour cela payer le « nocher » comme disent les vieux documents. Ils devront attendre 437 ans pour avoir un nouveau pont ! Celui-ci sera construit en 1847, très légèrement en aval de l’actuelle passerelle de Beau Rivage et il fut emporté par une très violente crue de la Corrèze en 1921.C’est alors que fut aménagé la passerelle provisoire qui ne fut remplacée par un pont définitif qu’en 1973.
Quant à l’ancien pont du XIII° siècle, il n’avait été qu’en demi démoli en 1410, je le rappelle, et ses ruines resteront en place jusqu’à la fin du XIX° siècle. Elles étaient d’ailleurs néfastes car elles faisaient barrage et sont, sans doute, responsables des inondations qui ravageaient périodiquement la rive gauche jusqu’à St Xantin inclusivement. A la fin du XIX° siècle encore, les paysans venaient battre leur blé sur le tablier du pont et les femmes lavaient leur linge sous la première arche. D’où la colère des Malemortois quand Massenat, propriétaire de la papeterie, eut l’idée de leur interdire l’accès à la Corrèze, fit murer l’arche qui servait de lavoir et fit bâtir un « kiosque » à l’entrée du pont. Il s’ensuivit un conflit et même un procès, ce qui n’empêcha d’ailleurs pas Massenat d’être élu Maire de Malemort quelques années plus tard. Les restes du pont disparurent à la charnière des XIX° et XX° siècles.
Ainsi, vous le voyez, l’histoire du patrimoine malemortois est essentiellement celle de sa disparition et celle-ci a commencé il y a bien longtemps. Et encore n’ai-je guère parler des anciens moulins de Malemort qui ont presque tous disparu sans laisser de trace. Ni des châteaux. Un mot seulement sur l’un de ceux-ci : le Jayle. Autrefois, le Jayle était une construction féodale, d’ailleurs fort bien située pour surveiller la vallée de la Corrèze. Mme Guimbal a expliqué, l’an dernier, dans notre revue, comment son arrière-grand-père, le marquis de Corn, quand il fit construire la demeure actuelle, commença par faire démolir l’ancien château fort. Aujourd’hui, derrière l’élégante maison moderne, on peut encore voir les bases des anciennes tours ainsi que l’entrée des souterrains, mais c’est tout.
Le plus étonnant, c’est ce qui s’est passé à Montemart. Car le site du château des Seigneurs de Malemort, n’est pas un site classé : c’est même une propriété privée. Tant et si bien, qu’il y a un siècle, le propriétaire, un particulier de Brive, eut l’idée d’y faire construire une maison. Cette maison est aujourd’hui en ruine, mais ses ruines existent toujours, à cinquante mètres de ce qui reste du donjon ! Quant aux souterrains, explorés au XIX° siècle par le Baron de Marquessac qui en a établi le plan, au début du XX° siècle encore, ils servaient de décharge aux habitants du quartier. De nos jours, l’entrée à été dégagée, mais la visite des souterrains reste impossible pour le promeneur moyen.
Je dois maintenant conclure. Mais, comme je ne voudrais pas que la conclusion soit de moi, je laisserai la parole à une autorité que vous ne récuserez pas, puisqu’il s’agit de l’abbé Célérier lui-même, l’historien de la commune, dont notre Association a republié l’ouvrage paru en 1923. Il y a donc 80 ans, l’abbé Célérier écrivait : « Depuis que le château n’est plus qu’à l’état de ruines, depuis que l’entrée des souterrains a été obstruée, Malemort n’est plus qu’un roi décapité et réduit à l’état de squelette. Qu’il serait beau pourtant, combien plus visité, si l’on facilitait aux touristes l’entrée des souterrains ! ». J’ajouterai : « Et si l’ensemble du site était mis en valeur. ». En tant que gardienne de la mémoire et du patrimoine, notre Association ne peut évidemment que souscrire à ce vœu et le transmettre aux autorités municipales. Pour prendre date.
Voilà. J’ai évidemment été trop long, comme toujours quand je fais une causerie. Je vous félicite donc pour votre patience et je vous remercie de votre attention.
(1) On sait que les fouilles préventives récentes, conduites par la Direction régionale des Affaires Culturelles, avant la construction de la nouvelle zone commerciale, ont confirmé l’existence d’importants vestiges gallo-romains en contrebas de Roumégoux, le long de la route de Venarsal
(2) Je rappelle que cette conférence était donnée dans la salle Georges Fréchinos de la Mairie, d’où l’on peut voir les deux tours qui subsistent de l’ancien château de Bréniges.